• 80 - 8-03-2024

     



         Hier, alors que je sirotais un allongé au Café de la place en lisant le dernier Houellebecq, la musique de la Boum retentit. Les nappes de synthé, langoureux préliminaires du désastre, agissaient telles deux mains moites solidement posées sur ma gorge. Je n’arrivais plus à avaler et j’avais un peu de mal à respirer. La mélodie de Cosma portait à chaque note un superfétatoire coup de poing dans mon ventre.
         Quelque chose de malsain suintait des enceintes du café. La voix de Richard Sanderson, qui ne m’avait jamais semblé aussi désagréablement féminine dans sa mélancolie suraiguë, teintait tout autour de moi. En l’entendant, je me suis surpris à murmurer : « si c’est ça l’amour, alors non merci ». Prétendre que le rêve est la réalité de l’amour, et appliquer cette idée à une pucelle campée par Sophie Marceau vivant son premier flirt. Vraiment, on ne peut arriver à d’autre conclusion avec le recul, je pense.
        D’un coup, je compris que mon dégoût pour notre époque m’aurait tout autant envahi si j’avais du percevoir les premiers signes de mon propre vieillissement dans les années 80. Ça aurait même peut-être été pire. Estimons-nous toujours heureux. Là est le principe de l’optimisme.
        Le comportement du serveur, que j’observais à travers la baie vitrée et qui slalomait entre les tables et les chaises au dehors, me paraissait tout à fait obscène dans son aisance. Un automate séducteur. Je l’imaginais tout à fait dans les années 80 : coupe mulet, veste en jean aux manches négligemment retroussées pour laisser paraître de virils avant-bras, boucles d’oreille et gourmette gravée en argent, en train de draguer les clientes. Cosma, c’est sa playlist, c’est sûr.
        Soudain, un jeune homme (?) traverse la place d’un pas vif. Ses bras demeurent étrangement immobiles le long de son corps. Il ne marche pas, mais semble opérer une sorte de translation. Un solide dans un espace vectoriel urbain aux contours pavés mal définis. Son apparence m’intrigue malgré moi. Coupe de cheveux asymétrique, longs à droite, courts à gauche, veste noire de style gothique tombant jusqu’aux pieds munis de bottes dont l’une est hérissée d’épines métalliques et l’autre est teintée en rose, mini-pull s’arrêtant au dessus du nombril laissant le ventre à l’air. La libération des moeurs vestimentaires n’a pas donné que du bon.
        Le problème avec la dissidence vestimentaire, c’est qu’elle accomplit le miracle de valider ce qu’elle rejette. La peur du ridicule est un ciment social puissant, que consolident les adeptes de l’anticonformisme en termes de prêt à porter. Ils sont les idiots utiles de l’ordre social (et du capitalisme, soit dit en passant) : illustrant l’existence de la liberté et donc de la tolérance en son sein, ils rassurent par ailleurs autrui sur le bien-fondé de son absence d’originalité.
        La musique de la Boum vient de se terminer. Phil Collins répète en gueulant qu’il peut danser. Ce serveur a des goûts musicaux pour le moins douteux. L’androgyne a disparu au coin de la place.  

        
       


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